Damas, (SANA) – Dans les ruelles de la vieille ville de Damas, où les passages étroits se croisent sous des arcs de pierre séculaires, les maisons damascènes se dressent comme des témoins silencieux de siècles d’histoire. Leurs murs et leurs ornements portent la mémoire d’une ville considérée comme l’une des plus anciennes cités habitées au monde. Ces maisons ne sont pas de simples habitations traditionnelles, mais l’expression vivante d’une identité culturelle et sociale complète, qui a façonné au fil des âges le mode de vie des Damascènes et leur conception du beau et de l’intimité.
Une architecture tournée vers l’intérieur et ouverte sur l’âme
La maison damascène se distingue par une architecture singulière : extérieurement, elle apparaît sobre et fermée, avec de hauts murs et peu d’ouvertures, tandis qu’elle s’ouvre à l’intérieur sur un vaste espace organisé autour d’une cour intérieure (al-Diyâr), véritable cœur battant de la maison. Au centre de cette cour se trouve généralement une fontaine, entourée d’orangers amers, de jasmins et de citronniers, offrant une harmonie entre l’eau, la verdure et l’ombre, et assurant à la fois un équilibre esthétique et climatique.

Ce modèle architectural n’est pas le fruit du hasard, mais une réponse aux contraintes climatiques, sociales et religieuses. Il garantit l’intimité de la famille, reflète les valeurs de pudeur et de cohésion familiale, tout en offrant un cadre de vie confortable face à la chaleur estivale de Damas.
Sculptures et ornements… un art qui parle sans mots
Dès que le visiteur franchit le seuil d’une maison damascène, il pénètre dans un univers de décorations et de motifs qui témoignent d’un raffinement artistique exceptionnel. Les murs sont souvent revêtus de pierre ablaq, caractérisée par l’alternance de pierres claires et sombres – blanches et noires, ou blanches et jaunes – formant des compositions géométriques élégantes devenues emblématiques de l’architecture damascène.
Les plafonds en bois, notamment dans les salles de réception telles que la qa‘a ou l’iwan, sont de véritables œuvres d’art. Ils sont ornés de motifs végétaux et géométriques d’une grande finesse, ainsi que d’inscriptions en calligraphie arabe comprenant des versets coraniques, des poèmes ou des maximes. Ces plafonds relèvent de l’art traditionnel damascène appelé ‘ajami, qui repose sur le bois peint et doré, illustrant la fusion entre l’art islamique et le savoir-faire artisanal local.
La maison damascène, espace social et culturel
La maison damascène n’était pas uniquement un lieu d’habitation, mais un espace social et culturel à part entière. Elle constituait le théâtre de la vie quotidienne : accueil des invités dans de vastes salles, veillées familiales, célébrations religieuses et événements sociaux. L’organisation des pièces reflétait la structure de la société, avec une séparation claire entre les espaces réservés aux invités et ceux de la famille, ainsi qu’entre les pièces d’été et d’hiver.

Certaines maisons ont également joué un rôle majeur dans la vie culturelle de la ville, accueillant des cercles littéraires et savants, notamment à l’époque ottomane, où elles se transformaient en lieux de rencontre pour les élites intellectuelles et religieuses.
Un héritage menacé et des efforts de préservation
Malgré leur grande valeur historique et culturelle, les maisons damascènes ont été confrontées ces dernières décennies à de nombreux défis : négligence, évolution des modes de vie, et dommages causés à la vieille ville par les conflits. Certaines ont disparu, tandis que d’autres ont été transformées en restaurants ou en hôtels patrimoniaux, dans une tentative de les préserver en leur donnant une nouvelle fonction.

Aujourd’hui, des efforts locaux et internationaux sont déployés pour restaurer et protéger les maisons damascènes dans le cadre de la sauvegarde de la vieille ville de Damas, inscrite sur la liste du patrimoine mondial, considérée comme une composante essentielle de l’identité syrienne et de la mémoire collective.
Une beauté qui traverse le temps
Les maisons damascènes demeurent bien plus que de simples vestiges architecturaux : ce sont des poèmes faits de pierre, de bois et d’eau, qui résument toute une philosophie de vie, où la beauté se conjugue à la simplicité, et l’art à la vie quotidienne. À l’heure où la modernité s’accélère, ces demeures nous rappellent que l’architecture n’est pas seulement une construction, mais une culture, une identité et l’âme d’une ville qui continue de battre au rythme de l’histoire.
A.Ch.