Paris, (SANA) – La répartition des poissons évoluant avec le réchauffement de l’océan, les scientifiques recommandent une forte baisse des prises. L’Union européenne s’est accordée avec difficulté sur des quotas provisoires.
Selon un reportage publié par le journal français « Le Monde », il est près de 4 heures du matin, samedi 13 décembre, quand Catherine Chabaud fait irruption dans une des salles de l’hôtel Thon, un établissement bruxellois situé à quelques centaines de mètres des locaux de l’Union européenne. Les traits tirés, la ministre déléguée à la mer et à la pêche est venue rendre compte à quelques dizaines de représentants des pêcheurs français de l’issue des négociations sur les « possibilités de pêche » pour l’année 2026.
Les ministres y actent chaque année les totaux admissibles de captures (TAC) – la quantité maximale de poissons pouvant être capturés par espèce et par zone, ensuite redistribuée en quotas pour chaque Etat. Pendant quarante-huit heures, les négociations se concentrent sur plusieurs dossiers sensibles, tandis que la profession patiente près du bar de l’hôtel, ou du petit salon à son entrée. Ses délégués y discutent des perspectives d’une filière en crise, à la croisée d’enjeux environnementaux, économiques et diplomatiques.
« Je crois à l’avenir de la pêche, plaide Mme Chabaud, devant les professionnels qui l’entourent en arc de cercle. On s’est tous battus pour cet avenir. » La France a notamment fait obstacle, avec d’autres pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas, à l’application des « préférences de La Haye », un système qui permettait jusqu’alors à l’Irlande de bénéficier d’une part plus élevée pour certains poissons, dont le maquereau de l’Atlantique du Nord-Est. Ce vertébré au dos constellé de lignes sombres est emblématique et populaire – plus de 40 % des foyers français l’achètent sous la forme de conserves, selon un panel publié par FranceAgriMer.
1 300 bateaux affectés
Dans son reportage, le journal « Le Monde » souligne que l’espèce fait partie des dossiers brûlants cette année. En raison de sa raréfaction dans l’Atlantique Nord-Est, les scientifiques ont en effet recommandé une chute très importante de son TAC : – 70 %. Samedi, les ministres européens se sont accordés sur des niveaux de captures provisoires en ligne avec cet objectif, à défaut d’accord avec les pays non membres de l’Union européenne qui pêchent également le maquereau, comme l’Islande. Le quota de la France passe de 16 000 tonnes en 2025 à un peu plus de 2 400 tonnes, pour les six premiers mois de 2026.
Cette baisse drastique, qui devrait affecter quelque 1 300 bateaux, reflète les limites du système actuel de gestion des pêches, percuté en particulier par le changement climatique. Sous l’effet du réchauffement marin, les déplacements de l’espèce dans les eaux ont commencé à changer dès les années 2000. Les bancs de ces migrateurs continuent « à être présents partout, du Portugal jusqu’à l’Islande, précise Youen Vermard, chercheur à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
Mais la zone où ils sont les plus denses s’est déplacée vers le nord, notamment dans les eaux norvégiennes et celles des îles Féroé, où il y avait jusqu’alors peu de captures ».
La « guerre du maquereau » entre l’Union européenne et l’Islande se poursuit
Jusqu’en 2010 prévalait une répartition sur laquelle s’étaient accordées la Norvège, l’Union européenne et les îles Féroé, avec pour chacun une part stable de la quantité totale de prises, définie sur la base des recommandations scientifiques. Mais l’archipel nordique a estimé que ce partage devait être revu, afin qu’une plus grande part de maquereaux lui revienne, ceux-ci étant devenus plus abondants dans ses eaux. La province autonome danoise a augmenté unilatéralement ses prises, portant celles-ci à près de 71 000 tonnes en 2010, contre 14 000 l’année précédente. L’Islande – qui n’a commencé à pêcher le maquereau qu’au début du siècle – a elle aussi autorisé une montée en flèche des débarquements.
En 2014, un nouvel accord de répartition, qui n’incluait pas l’Islande, a apaisé une partie des tensions. Mais il a pris fin en 2020, avec le Brexit. Depuis, les parties prenantes n’ont pas réussi à s’entendre sur de nouvelles règles. Faute d’accord global, l’Union européenne s’appuie sur sa part « historique ». D’autres pays pêchant l’espèce se sont octroyé de nouveaux quotas, plus généreux, comme la Norvège. Conséquence de cette zizanie, la ressource souffre : depuis 2010, les captures excèdent de 39 % en moyenne le niveau recommandé par les scientifiques – qui était déjà souvent dépassé, à un niveau moindre, avant les premiers désaccords entre Etats.
Trop pêchée, l’espèce s’effondre dans l’Atlantique Nord-Est. La biomasse des poissons en âge de se reproduire, c’est-à-dire leur poids cumulé, a été divisée par plus de deux en cinq ans, selon les estimations du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM). Elle se situe désormais à un niveau critique. Le déclin des nouvelles générations est un autre signal inquiétant – les jeunes maquereaux de 2 ans ne représenteraient plus qu’autour de 4 milliards d’individus, soit trois fois moins que la moyenne de la période 2000-2015.
Un système « pensé pour des populations statiques »
La raréfaction de ces poissons qui nagent dans la colonne d’eau, entre la surface et le fond, a « forcément un impact » sur d’autres espèces marines, même si celui-ci est difficile à chiffrer, souligne Youen Vermard, de l’Ifremer. Les maquereaux sont en effet une proie, et donc une source de nourriture, pour des prédateurs comme les dauphins et les thons. « Il faut absolument qu’il y ait un accord politique sur une clé de répartition entre pays », estime Didier Gascuel, professeur émérite en écologie marine à l’institut Agro de Rennes.
Le chercheur invite, aussi, à « repenser » les mécanismes de gestion des pêcheries, alors que le dérèglement climatique affecte de plus en plus les écosystèmes marins. Or le système de gestion de la pêche « est pensé pour des populations statiques », observe l’Espagnol Ivan Lopez van der Veen, président de la Coalition internationale des associations de pêche, depuis le salon-bar de l’hôtel Thon.
La prise en compte des effets du changement climatique se pose à l’échelle internationale, à celle de l’Union européenne, mais aussi au niveau national. La France doit en effet, chaque année, redistribuer le tonnage qui lui échoit auprès de ses pêcheurs, répartis pour l’essentiel en organisations de producteurs. Celles-ci disposent de sous-quotas liés notamment aux captures passées. Plusieurs acteurs du secteur s’interrogent : la répartition des tonnages de maquereau dont bénéficie chaque bateau doit-elle évoluer ?
Pour sauver l’océan, l’appel de trente scientifiques de renom à une pêche réellement durable
A l’instar du président du comité régional des pêches de Normandie, Dimitri Rogoff, l’association Bloom appelle l’Etat à réallouer les quotas vers les pêcheurs artisans. Une chute uniforme des quotas toucherait de plein fouet la pêche côtière, abonde Charles Braine, porte-parole de l’association Pleine mer, qui plaide pour une transition vers une pêche durable. « Avec un petit bateau, le rayon d’action est contraint et ne permet pas de s’éloigner de la côte », au contraire des bateaux-usines, qui concentrent près de la moitié du quota national selon Bloom, estime ce pêcheur.
La baisse du quota français aura, en tous les cas, « des répercussions importantes pour de nombreuses flottilles, ainsi que pour l’ensemble des maillons de la filière », relève le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins. D’autant que le maquereau n’est pas le seul poisson que les pêcheurs devront épargner en 2026. La quantité de lieux jaunes du golfe de Gascogne « capturables » a elle aussi diminué, de l’ordre de 13 %. A l’inverse, les prises de bar vont augmenter – l’espèce se porte mieux.
A.Ch.