Paris-La Libération / Les derniers chiffres de l’emploi ont rappelé aux marchés que l’économie américaine, quoi que laissent penser le pactole investi dans les data centers d’intelligence artificielle, repose toujours à 70 % sur la consommation des ménages.
Si ce n’est pas encore le début de la fin, c’est au moins un vrai coup de semonce.
Selon un reportage publié par le journal français « La Libération », la vertigineuse dent de scie de plus de 1200 points du Dow Jones, jeudi 20 novembre, et une chute qui a effacé en un après-midi tous les gains boursiers acquis depuis la veille, n’a pas seulement ramené les titans de l’intelligence artificielle à l’humilité. Elle révèle aussi, avec une violence inédite depuis l’annonce des droits de douane, les incertitudes économiques grandissantes de l’ère Trump.
Et d’ajouter : « Mercredi, la journée avait été ensoleillée par les résultats trimestriels mirifiques de Nvidia. Le numéro 1 des fabricants de cartes graphiques, ces complexes assemblages de semi-conducteurs indispensables à l’essor de l’intelligence artificielle, annonçait des profits de 31,9 milliards de dollars, en hausse de 65% en un an, et confirmait un carnet de commandes de 500 milliards de dollars sur les deux années 2025-2026. Assez pour justifier l’invraisemblable valeur boursière de 5 000 milliards de dollars de cette entreprise, premier fournisseur mondial des data centers de l’IA, érigée à raison par la Maison Blanche en atout stratégique pour les Etats-Unis ».
Pour ajouter à l’allégresse, le patron de ce fleuron américain, Jensen Huang, profitait d’une conférence avec ses actionnaires depuis Washington pour tenter de calmer la nervosité des investisseurs de la Silicon Valley. « On a beaucoup parlé d’une bulle de l’IA, a-t-il reconnu. Nous voyons les choses différemment ».
Le lendemain matin, jeudi, l’indice SP 500 bondissait de 1,9 %, sur fond d’exubérance des valeurs technologiques, avant qu’une annonce ne vienne gâcher la fête : celle des 119000 emplois créés en septembre. Sur la planète Wall Street, cette bonne nouvelle à un arrière-goût amer. Elle laisse supposer que malgré l’augmentation réelle mais encore minime du chômage de 4,3 % à 4,4 %, le rythme encore solide des embauches dissuadera la Réserve fédérale (FED) de baisser les taux d’intérêt le mois prochain et la conduira à privilégier prudemment la lutte contre l’inflation plutôt qu’une hasardeuse stimulation de l’économie.
Des ménages de plus en plus anxieux
« Il n’en fallait pas plus pour ramener les marchés à la réalité, leur rappeler que l’économie américaine, quoi que laissent penser le pactole investi dans les data centers d’intelligence artificielle, repose toujours à 70% sur la consommation des ménages, par ailleurs de plus en plus anxieux. Les hésitations de la FED entre la défense de l’emploi et la stabilité des prix en disent long sur le quotidien des citoyens américains », précise La Libération.
« Les consommateurs subissent des pressions multiples sur leurs finances personnelles, assure Joanne Hsu, directrice de l’indice du Consumer Sentiment publié le 7 novembre par l’Université du Michigan. 71%, d’entre eux, soit deux fois plus que l’an dernier, anticipent un affaiblissement du marché de l’emploi dans l’année qui vient et s’attendent à être personnellement affectés ».
Intelligence artificielle : la bulle qui fera boom ?
L’arrêt des activités gouvernementales pour cause de conflit au Congrès, le plus long de l’histoire américaine, a accru les inquiétudes ; il a aussi augmenté l’incertitude en retardant la compilation et la publication des statistiques vitales de l’économie. Si la consommation promet de rester stable dans la période des fêtes aux Etats-Unis, le malaise est palpable. Donald Trump, bien qu’il ait baissé en urgence les droits de douane sur une série de produits alimentaires, subit même dans un sondage de Fox News le pire taux d’approbation de sa carrière présidentielles, 38% seulement, pour ses mesures économiques.
Dans une interview sur la chaîne économique CNBC, Ray Dalio, fondateur milliardaire de Bridgewater Associates, a livré son diagnostic sur les tensions de l’économie américaine. A ses yeux, les 10% d’Américains les plus riches possèdent 90 % des avoirs boursiers et assurent à eux seuls la moitié des dépenses de consommation dans le pays tandis que la population la moins favorisée connaît un recul constant de son pouvoir d’achat dû aux droits de douane, à l’inflation des loyers et au renchérissement du crédit.
Vente d’actions frénétique
Qu’ils soient ou non conscients de ce climat d’inégalité caricaturale et de « bulle socio-économique », les investisseurs jettent un autre regard circonspect sur les valorisations astronomiques de Wall Street et avant tout sur les valeurs de la tech. On ne s’étonne pas que devant la crainte renouvelée d’une bulle de l’IA, ils aient tenté d’encaisser leurs profits par une série de ventes d’actions frénétique jeudi. « Les traders se demandent si les investissements actuels dans l’ΙΑ seront rentables dans cinq ans, observe, pour Bloomberg News, Matt Maley, analyste chez Miller, Tabak Co LLC. En conséquence, ils retirent une part de leurs jetons de la table ».
« Nvidia, l’un des seuls à fabriquer un produit tangible et industriel nécessaire à l’IA, et le phare du secteur, a ainsi perdu tous les gains justifiés par ses fabuleux résultats obtenus ces dernières vingt-quatre heures, terminant 3% sous son niveau initial, tandis que l’ensemble des entreprises liées aux data centers subissaient des baisses drastiques allant jusqu’à 8%. Signe d’un retrait des produits spéculatifs, le Bitcoin, qui avait atteint son prix record de 126 000 dollars en octobre, est passé sous la barre des 93 000, effaçant un an de hausse en quelques heures. Le retour au réel, dans les turbulences, ne fait que commencer », conclut le journal.
A.Ch.
